L'ami Laurent Closier revient dans les pages de Dimicatio. Après son excellent article sur l'art du wargame par Joseph Balkoski voici une étude tout ce qu'il y a de plus sérieuse et intéressante, mais je ne vous en dit pas plus et vous en souhaite une bonne lecture. Arnaud.
La renommée de Mark
Herman n’est plus à faire. Il suffit
d’énumérer la liste de ses jeux à succès : la série Great
Battles of History (avec Richard
Berg), Gulf Strike,
Pacific War,
Peloponnesian War,
For the People,
Empire of the Sun,
Washington’s War.
Et puis, il y a France 1944 publié
en 1986 par Victory Games. Boudé par beaucoup de joueurs à cause
d’une table des combats peu intuitive, tentons de voir si celle-ci
mérite toutes ces critiques.
L’objet du délit
Cette table est à
l’origine de la réputation du jeu. Elle se décompose suivant 2
tableaux : le premier tableau (à gauche sur l’illustration
ci-dessous) utilise un rapport de force classique entre les points de
force de l’attaquant et ceux du défenseur combiné au résultat de
2d6 sans aucun modificateur. Le second tableau (à droite) est
purement mécanique et utilise le résultat du premier tableau
combiné au moral des combattants pour déterminer les pas de pertes
et les reculs éventuels. Il se divise en 2 parties en fonction de la
nature du combat : ‘Set Piece’ ou ‘Mobile’. Prenons un
exemple : lors d’un combat de position (‘Set Piece Combat’)
au cours duquel le rapport de force est de 2 contre 1 en faveur de
l’attaquant, un résultat de 6 aux dés débouche sur un ratio
result de ‘3’ (premier tableau). Avec un moral de 4 pour
l’attaquant et de 3 pour le défenseur, le résultat final ‘C’
est de 2 pas de pertes pour le défenseur (convertible en 1 pas de
perte plus un recul de 2 hexes) et aucune perte pour l’attaquant.
Afin de mieux comprendre
cette table des combats, nous allons analyser le premier tableau d’un
point de vue statistique et réécrire le second tableau sous une
forme plus conviviale. Nous limiterons notre étude aux combats de
position (‘Set Piece Combat’) et il suffira d’extrapoler les
conclusions aux combats mobiles.
Le premier tableau
(figure 1) est le seul à utiliser le hasard via la somme de 2d6. Un
rapide coup d’œil nous montre que les attaques en infériorité
numérique ne sont pas très pénalisantes et qu’elles déboucheront
presque toujours sur un RR de 3 (même si à parité la probabilité
tombe à 64%, ce résultat reste largement majoritaire). Le ratio 3:2
est celui qui a le plus de chance d’offrir un RR de 2 (25%). Le
ratio 2:1 est le plus aléatoire même si un RR de 3 reste le plus
plausible (42%). Enfin, un RR de 4 devient majoritaire aux ratios les
plus élevés (3:1 et 4:1). Première surprise donc, les attaques à
1 contre 4 ou 2 contre 3 auront quasiment les mêmes effets, incitant
les joueurs à multiplier les attaques à faible ratio au lieu de
rechercher la parité. Ensuite, les attaques à 2 contre 1 sont
propices aux surprises, bonnes ou mauvaises. Difficile d’anticiper
leur résultat ou de baser une stratégie sur ce type d’attaque.
Enfin, à partir de 3 contre 1, on se retrouve en terrain connu avec
une logique d’évolution du RR de 3 jusqu’à 5 en fonction du
rapport de force des combattants. Reste à savoir ce que cachent ces
valeurs de RR.
Passons au second
tableau. Ci-dessous, les codes alphabétiques A à D d’origine ont
été remplacés par leur description sous la forme « pas de
pertes attaquant/défenseur », avant toute conversion
éventuelle d’un pas de perte en recul (R) pour le défenseur (1/2
converti en 1/1R ; 0/2 converti en 0/1R ; 1/1 converti en
0/0R).
Tout d’abord, on
constate que si le moral du défenseur est inférieur ou égal au RR
issu du premier tableau, celui-ci subira systématiquement 2 pas de
pertes quelque soit le moral de l’attaquant (indiqué en rouge sur
la figure 2a). A contrario, si le moral du défenseur est supérieur
au RR, l’attaquant subira systématiquement 1 pas de pertes quelque
soit son moral (indiqué en vert sur la figure 2a). C’est donc le
moral du défenseur qui donne en premier lieu la mesure du résultat
d’un combat, le moral de l’attaquant ne rentrant en ligne de
compte qu’après.
Ensuite,
on remarque que si le moral de l’attaquant est supérieur ou égal
au RR, il subira aucune perte face à un défenseur de faible moral
et infligera systématiquement un pas de pertes à un défenseur de
moral élevé (indiqué en pourpre sur la figure 2b). A contrario, si
le moral de l’attaquant est inférieur au RR, il subira un pas de
perte face à un défenseur de faible moral et infligera aucune perte
à un défenseur de moral élevé (indiqué en bleu sur la figure
2b). On constate par ailleurs que la limite entre moral faible et
moral élevé pour le défenseur correspond au RR.
En
fait, le RR issu du premier tableau fournit une valeur pivot autour
de laquelle gravitent les valeurs de moral de l’attaquant et du
défenseur. On pourrait résumer ce second tableau par la figure 2c
suivante :
Si on
développe la figure 2c pour chaque valeur de RR, on obtient les
schémas suivants (figures 3a-3d)
A
l’issue de l’analyse complète de la table des combats, que
peut-on en tirer comme grandes lignes directrices ?
- Les attaques en infériorité numérique doivent prendre pour cible des unités avec une valeur de moral inférieure ou égale à 3 afin de leur infliger presque systématiquement 2 pas de pertes.
- Les attaques en supériorité numérique (2 contre 1 et plus) doivent être menées par une unité avec une valeur de moral supérieure ou égale à 5 si possible pour s’assurer contre tout résultat défavorable.
Il
convient maintenant de confronter cette analyse avec la pratique du
jeu. Tout d’abord, on constate que la quasi-totalité des unités
allemandes positionnées sur la ligne de front au départ possède
une valeur de moral de 4 minimum. Il faut savoir également qu’un
terrain favorable occupé par le défenseur majore cette valeur de
moral de 1 (terrain accidenté, ville) ou de 2 (fleuve, forteresse).
C’est le cas avec le bocage normand qui élève la valeur de moral
des défenseurs à 5 voire 6. Dans ces conditions, le seul moyen
d’infliger 2 pas de pertes aux troupes allemandes est de lancer des
attaques à 4 contre 1 avec comme unité de pointe l’une des deux
divisions blindées US ayant une valeur de moral de 5. Les autres
attaques déboucheront sans doute sur un combat d’attrition
(résultat 1/1) que le joueur allemand ne peut pas mener à long
terme et qui l’obligera à reculer (conversion de 1/1 en 0/0R). Une
fois dans la « plaine », et face à des unités
allemandes de seconde ligne, le joueur allié ne devra pas hésiter à
attaquer tout azimut y compris avec ses unités réduites. Toutes ces
remarques s’appliquent de manière moins stricte quand le joueur
allié peut bénéficier d’un support aérien ou des chars
« funnies » britanniques de la 79th Armored
Division qui abaissent de 1 la valeur de moral des défenseurs
(de 2 dans le cas des deux « carpet bombing » alloués
aux Alliés pour toute la partie).
Explication de
texte
Difficile
de comprendre la logique derrière cette table des combats en
l’absence de notes de conception. L’auteur a cependant fourni une
explication que l’on peut trouver sur le site boardgamegeek.
Pour lui, le facteur majeur en combat réside dans le moral des
unités (et par extension l’expérience au feu). Le nombre de
soldats n’est pas synonyme de succès ; il est même parfois
synonyme de pertes supplémentaires à cause de la densité de
troupes et de la difficulté à coordonner des assauts impliquant de
multiples formations. Seules les unités les plus expérimentées
(i.e., avec une valeur de moral élevée) évitent ces écueils.
Exemple : valeur de moral de 3 pour l’attaquant et le
défenseur. Si le RR est de 3, on obtient le résultat 0/2 et si le
RR est de 4 on obtient le résultat 1/2. Pourquoi cette différence ?
En fait, le résultat des 2d6 sur la première table représente la
ténacité des défenseurs et par extension la rudesse (ou léthalité)
du combat, symbolisée par les zones vert clair dans les figures
3a-3d.
Conclusion
Hormis le cas particulier
des attaques en infériorité numérique, la table des combats de
France 1944 relève d’une logique très similaire à celle
que l’on rencontre dans les tables de combat plus classique. Les
pertes subies par l’attaquant sont soit liées à sa faible
expérience (valeur de moral faible), soit liée à la forte
expérience du défenseur (valeur de moral élevée) ; de même
pour les pertes du défenseur. Si vous possédez ce jeu, sortez-le du
placard où il prend la poussière et invitez un ami à le tester :
il le mérite. De plus, il est le seul à ma connaissance à gérer
au niveau stratégique le manque d’expérience des divisions
américaines fraichement débarquées (unités « Green »).
Errata
Vous trouverez ci-dessous les
compléments de règles officielles (prélevés sur le site
WebGrognards) pour éviter certains effets non désirés dans
le jeu.
- Initiative and Reaction Phases (Addition): No Headquarters unit may be activated more than twice per game turn. On all game turns, except game turn one, a Headquarters unit may not be activated twice in a row. Another friendly Headquarters unit must be activated between a Headquarters two activations. On game turn 1 this rule is not in effect.
- Administrative Movement (Addition): A Combat or Headquarters unit may not use Administrative Movement to move out of supply at any time in its movement. The unit can be in supply with any friendly Headquarters unit not necessarily the one that activated it. A Combat unit may move out of supply when using normal movement only.
- Out of Supply Effects (Addition): During the Replacement Segment of the Administrative Phase before any replacements are taken any combat unit that is out of supply loses one step. If the unit is at cadre level when this step is lost the combat unit is placed in the Eliminated Units Box and may be brought back into play immediately or later using replacement points.
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