Très attiré par les promesses du prochain jeu à sortir chez Nuts! Publishing, Urban Operations, je me suis dis que ce serait l'occasion parfaite pour s'adonner à un exercice un peu nouveau dans ces pages: l'interview. Voici donc ici même le résultat de nos échanges avec Sébastien de Peyret, créateur de ce titre en devenir qui, je le confirme après cette interview, pique vraiment ma curiosité de joueur!
Dimicatio: Peux-tu te présenter et exposer ton rapport en général avec le
wargame? Es-tu joueur ou juste serious gamer pour l'armée?
Sébastien: Je suis officier d’infanterie, et j’ai été affecté à plusieurs postes
dédiés à la formation des cadres ou à l’entraînement des forces terrestres
françaises et étrangères. Par goût autant que du fait de mes affectations je me
suis spécialisé dans la préparation aux opérations urbaines, qui est une des
formes les plus complexes d’engagement militaire.
Quand je raconte ce que je fais à un public totalement extérieur au monde
militaire, il n’est pas rare que mes interlocuteurs en concluent que, d’une
certaine manière, je crée les conditions pour que mes soldats “jouent à la
guerre”. A l’heure de la simulation laser, ce n’est pas faux. Et heureusement
qu’il y a un vrai côté ludique et addictif dans les entraînements
professionnels. Mais la finalité de tout cela nous ramène très rapidement aux
réalités!
De l’entraînement au jeu il n’y a donc qu’un pas, que je ne m’interdis pas
de passer fréquemment. Et l’art de la guerre est suffisamment délicat à
assimiler qu’il n’est pas aberrant pour un chef militaire de passer par le jeu
pour en découvrir toutes les finesses, avant d’être en situation. C’est ce que
j’ai fait avec, par exemple, “the operational art of war” lorsque je préparais
le concours de l’école de guerre.
Joueur ou serious gamer? Ni vraiment l’un ni vraiment l’autre. Je n’ai pas
un passé de grognard, et depuis trois ans le temps que je peux consacrer au jeu,
je l’emploie à 100% au développement d’Urban Operations, ou parfois à la
découverte de nouveautés pour renouveler mes connaissances. Quant au serious
game militaire, je m’emploie surtout à le faire évoluer. La vision
institutionnelle du serious game est très “simulationniste”. Je tâche de faire
découvrir qu’il y a de TRES nombreuses autres façons d’employer le jeu à des
fins professionnelles. Ce fut un combat il y a 80 ans de faire découvrir
l’intérêt du blindé dans une armée moderne. La prochaine croisade sera peut-être
celle du serious game, qui sait?
Qu'entends-tu par "heureusement qu’il y a un vrai
côté ludique et addictif dans les entraînements professionnels"?
Quelles sont justement ces autres façons d'utiliser le jeu dont tu fais allusion?
Je
vois donc le jeu comme un très bon support pour l'apprentissage des
rudiments de la tactique et de la stratégie, pour la compréhension d'un
cas historique ou d'une opération plus récente, ou pour la prospective -
les jeux sur cartes permettent de tester les innovations techniques et
tactiques avant de les représenter grandeur nature sur le terrain, ou
avant que des équipements futurs ne soient sortis des chaînes de
production. Enfin la mode est au team building dans les entreprises :
faire réaliser une opération complexe, sur carte, avec distribution des
responsabilités entre différents joueurs est une excellente façon de
roder des équipes de commandement avant qu'elles ne soient déployées
avec leurs unités complètes.
Pour Urban Operations, comment es-tu passé d'un serious game à un "jeu" tout en voulant
qu'il reste utilisable par l'armée?
Mon idée de départ, très floue, date d’il y a une dizaine d’années. Je
cherchais un support pour aider les chefs de section que je commandais à
intégrer les spécificités de la tactique en zone urbaine. On est (parfois)
dépassé par le temps, je n’ai pas eu l’occasion de finaliser les idées que
j’avais notées. Mais l’inspiration est revenue de manière brutale fin 2011, j’ai
profité de quelques jours de vacances pour commencer à modéliser une
représentation de terrain urbain, à rédiger quelques règles directement
inspirées de ce que j’ai remarqué au cours de mes entraînements “grandeur
nature”, et que l’on retrouve pleinement dans la version actuelle d’Urban
Operations.
Il m’a semblé rapidement évident que ne s’appuyer que sur le monde ludique
ou professionnel amènerait à un produit soit trop peu réaliste, soit (il faut bien
l’avouer) un peu trop sérieux pour être immersif. D’où la volonté d’ouvrir le
jeu aux deux mondes, et pour l’instant l’intérêt est aussi grand chez les
joueurs que l’est la curiosité chez nombre de mes comparses français et
étrangers.
Du coup, à qui s'adresse ce jeu? Le joueur "ludique" ou le
"simulationniste"?
D'ailleurs, d'où vient cette relation avec Nuts!?
L’effet que je vise, c’est essentiellement
l’immersion, que l’on ne peut avoir qu’en axant sur le côté ludique. Et il faut
être réaliste : modéliser une simulation sur papier est très ambitieux, et a de
grandes chances de retirer une grande partie du gameplay. Les joueurs d’Urban
Operations sont plus amenés à faire le bon usage de la combinaison d’un groupe
d’infanterie et d’un binôme de chars, qu’à comparer les capacités de perforation
entre le M1 Abrams et le T-72.
Créer Urban Operations, même si c’est ma première expérience de concepteur,
m’a amené très rapidement à faire des choix pour élaborer un système de jeu. Et
je me rends compte, en développant d’autres systèmes à usage professionnel, que
je mets toujours en avant la représentation du brouillard de la guerre, qui me
semble essentiel. En comparaison l’aléa dans les résolutions d’engagement est
assez limité. La guerre est la confrontation de deux volontés, et amène le chef
à décider dans l’incertitude. C’est ce que je mets en avant, et il me semble que
les joueurs y prennent un réel plaisir.
Voilà quelque chose de très
intéressant car il s'agit pour moi d'un des points que je trouve le plus
sensible dans notre hobby: comment s'amuser le plus possible en ayant
l'impression de "vivre" une situation la plus crédible et/ou historique
possible. On peut donc s'attendre à un résultat particulièrement
équilibré avec Urban Operations, ce qui est vraiment fait pour me
plaire!
L'équilibre entre réalisme et game play est, à mon sens, le Graal de
notre hobby. Nous menons avec Thomas Pouchin un combat presque quotidien
pour rester aussi simple que possible, et nous devrions avoir un jeu
très ludique. Concernant d'autres règles "de référence" comme ASL ou
Combat Commander je n'ai pas eu l'occasion de les pratiquer, juste de me
les faire présenter. Je sais la place que ces règles tiennent dans le
monde du jeu d'histoire, et d'une certaine manière je pense sain de ne
pas être du tout influencé par d'autres systèmes. Cela amène parfois à
réinventer la roue, mais dans ce cas je sais pouvoir compter sur Thomas
pour me recadrer. Mais la plupart du temps je pars simplement de
mes observations du terrain pour créer des mécanismes de jeu. Cela
devrait apporter aux joueurs chevronnés de vraies innovations, et aux
débutants un environnement très réaliste.
Cette
première expérience de conception sur Urban Operations a-t-elle changé ta façon
d'appréhender ton travail? Cela t'a-t-il apporté de travailler sur le ludique
pour tes réalisations militaires?
Chaque expérience de
développement de projet, quelle que soit son échelle, est une opportunité pour
apprendre et progresser. J'ai beaucoup appris sur la création des mécanismes de
jeu et sur l'interface entre ces mécanismes et le joueur. Cet aspect ressort de
manière indéniable dans ma manière d'élaborer des solutions pour la formation. J'ai à
cette occasion aussi beaucoup découvert sur le monde du serious game et sur ses
applications, et je vois ça comme un réel atout pour orienter mes choix
professionnels à venir.
D'ailleurs, d'où vient cette relation avec Nuts!?
La mise en relation avec Nuts! Publishing, que je ne connaissais
pas plus que cela, est un véritable coup de chance, pour les deux parties il me
semble. Le contact a été établi par Arnaud de Peretti, qui s’y connait – il a
organisé la convention à l’Ecole de guerre en 2012 – et cela a tout de suite
fonctionné. Je venais avec des idées de terrain, pour représenter des effets qui
n’existent pas encore (ou peu) dans le domaine du jeu, et l’équipe de Nuts!
cherchait une opportunité pour développer d’autres genres de wargames, plus
orientés jeu de plateau. On s’est mis immédiatement au travail avec Thomas
Pouchin, à distance (j’habitais à cette époque à 7 000 km de la France). La
“conjonction des talents” entre l’opérationnel et le wargamer a permis de
trouver très rapidement les solutions pratiques pour mettre en forme tous ces
fameux effets.
Voilà donc un jeu qui a réellement eu un développement en équipe, par le binôme concepteur/développeur, ce qui rassurera sans doute de nombreux wargamers qui remarquent depuis un bon moment quelques lacunes sur ce point chez de plus en plus d'éditeurs. Pour parler du jeu plus particulièrement, peux-tu nous dire quel est son niveau de difficulté, la durée des parties, le nombre de scénarios et sur quels conflits ils s'arrêtent?
Le jeu sera de
difficulté moyenne : les mécanismes de jeu sont aussi empreints de bon
sens que possible. Mais une certaine complexité vient de l'ensemble des
paramètres tactiques et d'environnement à prendre en compte, comme c'est
le cas en opération.
Nous prévoyons une
grosse quinzaine de scénarios, ce qui permettra des parties allant à
mon sens d'une heure et demie à quatre heures - nous avons encore pas
mal de tests à faire pour avoir une idée précise des durées de jeu.
Outre un scénario d'apprentissage il y aura une campagne "3ème guerre
mondiale" qui se passe en Allemagne de l'ouest en 1985. C'est un
excellent support pour représenter des combats tactiques conventionnels,
avec beaucoup d'appuis et d'interarmes. La campagne qui se passe à
Mogadiscio en 1993 met en scène des unités françaises et américaines
dans des situations réelles, avec un fort niveau d'asymétrie. Enfin la
campagne des "4 as" nous permet d'évoquer (rapidement) les difficultés
propres à Kolwezi, Fallujah, Grozny et Bassorah. De quoi répondre aux
attentes de très nombreux joueurs!
Et peux-tu nous dire
quand le jeu sera disponible?
Nous y travaillons chaque jour
avec Nuts! Sauf "surprise stratégique" (rupture de stocks mondiaux de
dés par exemple) le jeu sera en précommande avant l'été et nous aurons la joie
de le diffuser à partir de cet automne, pour faire en sorte que le Noël de
nombreux belliludistes soit un peu plus urbain qu'à l'accoutumée.
Un petit mot de conclusion si tu le souhaites?
Merci pour ton accueil. Je suis
très heureux que les joueurs aient la possibilité d'en savoir un peu plus que
ce que leur offre une boîte de jeu. Et j'ai hâte de recevoir les retours du
public, qu'il soit joueur ou professionnel.
3 commentaires:
Merci Arnauld pour cette interview.
Voilà un jeu, une simulation, un exercice que j'attends impatiemment.
A titre de joueur il y a assez longtemps qu'un tel projet ne m'avait autant attiré.
Erwan
LES JEUX DU GRIFFON
Salut Erwan,
peut-être une partie lors de la Strat'Arrée 2? :)
ce sera avec grand plaisir Arnaud :)
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