dimanche 24 février 2019

The Fog of War : le brouillard et la guerre


Depuis sa sortie chez Stronghold Games en 2016 j'espérais pouvoir jouer à ce jeu que j'avais laissé passer à ce moment-là. Petite anecdote rigolote : je découvre en écrivant cet article que l'auteur du jeu (Geoff Engelstein) est aussi celui de The Expanse: the Board Game dont je vous parlais voilà peu. Totale coïncidence, situation toujours marrante! 

Ici, fi de vaisseaux spatiaux et de séries tv pour se retrouver à jouer d'hypothétiques supra-chefs d'armées pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il s'agit donc d'un jeu à deux joueurs permettant de simuler ce conflit d'une façon originale. En passant je trouve l'illustration de couverture certes à propos mais peu engageante. On dirait un mélange de Risk et de puzzle, ce qui constitue, à mon sens, un loupé.

Mais ne fuyez pas, restez! Il ne s'agit pas non plus d'un wargame mais d'un jeu de plateau à thème historique dont les mécaniques sont assez bien intégrées. Vous êtes toujours là? Alors allons-y!

Le jeu propose un plateau représentant le théâtre européen, entouré d'emplacements pour positionner les cartes d'armées "dans" chaque zone. Ces cartes sont de 4 types: des leurres à 0, des unités terrestres,  navales et aériennes de 0 à 3. Avec votre main de 3 cartes par tour vous pouvez donc placer des cartes dans les espaces dédiées à chaque zone de jeu afin d'en augmenter le potentiel de défense ou préparer des offensives grâce à la roue dédiée. Il s'agit là d'une des idées brillantes du jeu. Ce mécanisme permet d'inclure dans un jeu de guerre la notion de temporalité de la préparation des opérations militaires. Là où dans l'immense majorité des jeux on peut lancer des offensives au moment où on le souhaite ici vous devrez attendre et gérer.


Comment elle fonctionne cette roue ? Très simplement finalement : lorsque je veux lancer la préparation d'une opération je place sur la case indiquée NEW OP (ici Foxtrot) la carte de la zone que je souhaite attaquer et au moins une carte d'unité (même un leurre) afin d'initier la préparation. A chaque début de tour, le joueur tourne la roue hexagonale afin de faire évoluer le statut de ses opérations (jusqu'à 6 simultanément donc). C'est seulement à partir du 3e tour que l'offensive peut être lancée (mais en donnant un bonus de +1 au défenseur : le D+1) et ce jusqu'au 6e tour avec un bonus à l'attaque (A+1). Une attaque bien préparée est toujours meilleure ! Le joueur peut décider d'ajouter des cartes chaque tour aux opérations en préparation ou d'en annuler s'il le souhaite. 
Il va donc s'agir pour chaque joueur de deviner où son adversaire va attaquer, en force ou en diversion, afin de positionner suffisamment de force en défense sur les zones visées. Pour cela les joueurs disposent d'un pool de pions d'espionnage à dépenser leur permettant de regarder la moitié des cartes d'une opération en préparation adverse en espérant tomber sur la carte de la zone mais également estimer les forces en présence. L'adversaire peut surenchérir en pions pour éviter cet espionnage (mais ça a ses limites au bout d'un moment!).

Que se passe-t-il quand je choisis de lancer une offensive? Je révèle mes cartes en les retirant de la roue. Mon adversaire révèle alors les cartes posées en défense de cette zone. On compare simplement les valeurs et selon que l'attaquant est moins, plus ou au moins le double du défenseur, différentes situations émergent. S'il a le double l'attaque est un succès et l'attaquant prend le contrôle de la zone, y place un marqueur de contrôle à sa couleur. S'il a plus mais moins du double, la situation se transforme en "bourbier" et une attaque devra être résolue au tour suivant, avec moins de troupes. S'il a moins, c'est la fessée.


Comme il n'y a pas d'unités sur le plateau, la "fessée" est simulée par la gestion des cartes d'armées. Selon les résultats vos cartes après une attaque peuvent aller dans deux paquets distincts: l'OP LOSS (là il faudra racheter les cartes pour les retrouver dans sa pioche) et l'OP WIN qui reviendra un peu plus gratuitement dans votre pioche pour la suite. Le côté logistique du jeu tient donc dans vos points de production qui vous permettent d'acheter des cartes ou de nouveaux pions d'espionnage. A noter  que seul lejoueur de l'Axe marque des points de victoire pour la prise d'objectifs... c'est lui qui a la pression de l'offensive !

Voilà donc pour les mécaniques globales du jeu. Il s'agit donc bien d'un jeu de gestion de mains de cartes et de "guessing" à base de "je pense qu'il sait que je sais qu'il va faire ça donc je vais faire ça". Avec une bonne part de chance sur la pioche des cartes d'opérations adverses pendant les espionnages, et aussi lors des "bourbiers", un peu sur le même style.

Notre partie en cours...

Bon alors, j'ai trouvé ça comment?

On dit que j'ai souvent des avis tranchés mais histoire de faire mentir les mauvaises langues (:P) je vais avouer que ce jeu me laisse très partagé. 
D'un côté j'ai trouvé très bien pensée et réalisée l'idée de la temporalisation des opérations, on vit les dilemmes d'allocation de ressources militaires toujours trop faibles et du bon choix pour surprendre l'adversaire. La gestion de main de cartes est donc très bonne à mon sens, avec un bel équilibre entre la situation géo-stratégique, le besoin de ressources et la gestion des cartes. Le fameux brouillard de guerre est donc élégamment retranscrit par l'ensemble des mécaniques, très cohérentes. Ceci est pour moi entaché par deux aspects du jeu : l'ergonomie d'abord et le fameux "guessing" de l'autre. Côté ergonomie le choix d'entourer la carte d’emplacements pour les cartes n'est pas bon. Par deux fois, faute d'une bonne lecture du plateau, nous avons oublié de défendre des zones. Finalement de simples pions servant à la fois au contrôle et à la situation militaire auraient été à la fois plus lisibles et plus simples. Révéler des pions plutôt que des cartes n'étant pas un problème, ce choix aurait je pense été de loin plus judicieux. En ce qui concerne le guessing, là on est juste sur une affaire de goût et de sensibilité. Autant j'apprécie de jouer de temps en temps à des jeux dont c'est le propos (Complot par exemple), autant intégrer cette mécanique avec une dose prépondérante de chance par l'espionnage m'a plutôt déplu.

Voilà donc le genre de jeu à tester absolument si les mécaniques semblent à votre goût!

Arnaud

NB: comme on me propose une partie avec un exemplaire avec pions (justement), je pense que j'y retournerai!

dimanche 3 février 2019

La pandémie romaine


Même si je ne suis pas loin de penser que l'empire romain fut une pandémie en son temps, c'est bien du dernier opus de la série de jeux coopératifs Pandemic dont je veux parler : La Chute de Rome (qui a dit bien fait??? Oh!).

Voici donc le 3e titre de la série des Survival qui auraient pu simplement s'intituler Historical. Iberia et les maladies de la péninsule au 19e siècle et Montée des Eaux et les digues néerlandaises (presque flippant puisqu'on sent le what if d'un futur trop proche) sont donc complétés par cette Chute de Rome, nous plongeant dans un monde déstabilisé par les voisins un poil barbare du géant romain. 

Côté mécaniques de base pas de surprise, on retrouve précisément le tour de jeu de n'importe quel pandémie: je fais 4 actions, je pioche 2 cartes, je tire des cartes pour faire empirer la situation. On retrouve des Révoltes qui ne sont rien d 'autres que les Épidémies du jeu de base. On perd toujours si un joueur ne peut pas piocher de cartes joueur, si on a subit trop de Pillages (aka Éclosions), si l'on ne peut pas poser un cube sur le plateau, mais aussi, si Rome est pillée (d'où le titre, malin, donc). On gagne globalement aussi de la même façon que d'habitude : en forgeant des Alliances (aka Trouver des Remèdes) avec une petite subtilité qui consiste à réussir à génocider du plateau une tribu barbare à la place de faire alliance avec (Subtil. Si si).

Bon dit comme ça, on a l'impression que le jeu se contente d'un lifting à la sauce Histoire et Jupettes et rien d'autre. Mais en fait non. Car le système fait de son mieux pour coller à son thème et offrir quelques subtiles subtilités. Voyons voir comment :

-  Les Alliances: au nombre de 5 comme les 5 couleurs des 5 envahisseurs barbares sauvages et haineux... au lieu des 4 maladies du Pandémie de base. En plus de ça chaque barbare n'aura pas besoin du même nombre de cartes pour accepter l'alliance avec Rome et n'a pas non plus le même nombre de cartes dans le paquet, ni le même nombre de cubes.


- Le plateau : forcément c'est là que le plus d'effort d'adaptation thématique est déployé. A la différence des autres Pandemic, puisque tous les chemins mènent à Rome, ici les villes forment des routes menant à Rome (deux par couleur, soit 10 chemins possibles). Un système fort malin de placement des cubes fait que l'on a l'impression que les barbares se rapprochent de la capitale. Cet aspect rappellera fortement la série State of Siege de VPG à ceux qui la connaissent.

Où l'on voit les "chemins vers Rome" avec les flèches de chaque couleur
- Le placement initial est plus "piloté" que dans les autres jeux car seules les 6 villes connectées aux territoires barbares seront concernées. 9 cartes à bord doré servent à cela. Si vous regardez bien 3 villes sont bicolores, ce qui explique les nombres. Un peu moins de surprises donc dans ce placement initial, en bien ou en mal, mais en tout cas totalement thématique.

En plus des cartes dorées vous voyez également les cartes rouges qui sont des cartes Rome de chaque couleur, qui rejoignent la pioche après la première révolte. Là ça commence à chauffer!
- Mobilisation, légions et baston : là c'est historique et ça sent la castagne! Pour la première fois les pions des joueurs vont balader avec eux des meeples légions (3 max en se déplaçant) qui vont servir à pas mal de choses dans le jeu (nous venons en paix, pacification, tout ça). Vous pourrez construire des forts pendant la partie qui vous permettront de mobiliser des légions (poser des légions avec le fort). Les légions permettront de faire l'action de Combat. Pour cela vous lancerez un dé par légion dans le combat. Alors oui il y a des dés dans ce Pandémic. Et non ce n'est pas la première fois, Cthulhu en possédait déjà un, mais moins prégnant. Là c'est vraiment du dé de résolution de combat avec des pertes en cubes et/ou légions et l'activation d'une capacité de personnage. Les légions ont un autre atout : ils peuvent défendre une ville où un cube devrait être posé. La légion est sacrifiée et on ne pose pas le cube. C'est à double tranchant. De plus si des légions sans personnage ni fort avec eux subissent ce sort alors toutes les légions présentes disparaissent, une seule dans le cas inverse. C'est stratégiquement important.

Autre aspect historique : plus les révoltes s'accumulent, moins vous pourrez mobiliser de légions dans vos forts. Mais comme vous êtes sensé avoir forger des alliances avec de plus en plus de barbares, vous devriez pouvoir les enrôler de plus en plus facilement.

- Les actions : en dehors des actions classiques, nous retrouvons le combat, la mobilisation mais aussi l'enrôlement des barbares dans les légions. Très historique avec parallèlement la diminution de la mobilisation romaine à proprement parler. On retrouve ici une des raisons de la fin de la "romanitude" ayant certainement entrainée cette "chute" de Rome par l'intégration à outrance des barbares dans le tissu romain. Il suffira donc de jouer une carte de la couleur d'une tribu "alliée" pour transformer ses cubes en légions. Oui les "alliés" continuent à vous pourrir et peuvent même vous faire perdre la partie s'il le faut. Les alliances c'est sympa mais faut bien manger et puis sur un malentendu...

Donc globalement voilà pour l'adaptation de ce jeu iconique à une thématique historique et guerrière qui pourrait bien entrainer certains wargamers à Pandemic. Personnellement je trouve le jeu thématiquement justement très réussi. Ce n'est certainement pas un wargame mais ce jeu de plateau a vraiment intégré des mécaniques reflétant des réalités historiques. Et ça c'est vraiment un excellent point. Purement mécaniquement certains ajouts font que cette version est aussi plus riche avec quelques nouvelles options: les événements avec deux choix, les personnages avec des capacités uniques déclenchées par les dés et un vrai mode solo (à voir mais certainement adaptable aux autres titres). J'ai fait une seule partie solo et je me suis fait rouler dessus. C'est bon signe.

Les illustrations sont très réussies, particulièrement celles des événements...
... ce qui est relou par contre c'est qu'un soldat romain de cette période ressemblait plus à ça qu'au sempiternel légionnaire du 1er siècle! Les dégâts d'Hollywood et des stéréotypes...


Si le jeu est thématiquement bien adapté je ne suis par contre pas sûr que ce soit le titre le plus capable de continuer à surprendre à force de parties. Mais l'avenir le dira. Un seul indicateur : le nombre de parties jouées dans la durée.

Un jeu que je conseille fortement si le jeu coopératif vous titille mais que des thèmes médicaux vous rebutent. Ici, c'est l'Histoire! Juste en passant et pour en finir je vous conseille le dernier chapitre de Histoire des Guerres de l'Antiquité de John Warry; une douzaine de pages de lecture avant de sortir le jeu, pour les rappels historiques.

Arnaud

PS: je sais je n'écris pas une lettre mais PS quand même. A propos du matériel de jeu qui s'il est toujours aussi réussi graphiquement, ne s'améliore pas côté matériaux. J'en veux pour preuve ce plateau qui gondole beaucoup trop à mon goût. Trop léger? Temps de séchage non respecté? Un peu dommage de ce côté.